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LE CINÉMA DE LA PETITE ÉCONOMIE (LE CINÉMA DES ÉCONOMIES ALTERNATIVES)
2024
Ce programme a été pensé et organisé par Emilie Lamoine, Mariya Nikiforova, Ariane Papillon, Paula Rodríguez Polanco, Natacha Seweryn, Ysé Sorel et Eugénie Zvonkine, chercheuses, cinéastes et programmatrices affiliées au laboratoire ESTCA de l’Université Paris VIII, et Marguerite Vappereau, MCF à l’université Bordeaux Montaigne.
Pour nombre de cinéastes, le refus de se plier au formatage du scénario, à la verticalité autoritaire du tournage traditionnel et au poids des financements dont les enjeux les désinvestissent – le cinéaste Pierre Creton évoquant la « pesanteur de l’argent » –, les conduisent, par nécessité esthétique et politique, aux marges du film « du bord », leur permettant de montrer des récits et personnages qui ne pouvaient être vus en dehors de ce cadre, ainsi que de créer des dispositifs de représentation inédits. Pour d’autres, c’est la difficulté d’accès aux systèmes de soutien financier, ou encore l’urgence de réaliser un premier film sans attendre l’argent pour le faire, qui les font inventer des formes filmiques alternatives, en- dehors des systèmes hégémoniques de production et/ou de diffusion.
Ce cinéma a pu être nommé cinéma indépendant, autonome ou guérilla, films pauvres, sauvages ou de contrebande. Nous souhaitons, lors de cette journée d’études, interroger comment définir cette façon de faire du cinéma, et sa possibilité d’existence, en France aujourd’hui, tant les termes choisis peuvent délégitimer ou réduire cette démarche singulière, et les cases institutionnelles et commerciales ne pas répondre à leur projet. Nous voudrions également réfléchir à la manière dont les contraintes budgétaires influant sur les choix de mise en scène et modalités de tournage peuvent être porteuses d’ingéniosité, de sens et de partis- pris esthétiques. C’est aussi la façon dont les cinéastes pensent leur économie, celle de leur film et de leur équipe que nous souhaitons interroger. Ainsi, nous voudrions rendre compte d’une manière autre de faire du cinéma, collectivement et parfois contre l’industrie, entre ami·es, au sein de lieux collaboratifs, laboratoires partagés et résidences de post-production.
Un deuxième volet de cette journée d’études, consacré à la production et diffusion du cinéma de la petite économie se se déroulera à Bordeaux les 10 et 11 octobre 2024 au sein du Festival International du Film Indépendant de Bordeaux. Lors de ces trois journées d’études, des cinéastes, chercheur·ses, producteur· ices, programmateur·rices, ainsi que membres de structures associatives et institutionnelles seront invité·es à penser ensemble, en conjuguant approches théoriques et pratiques.
JOURNÉE 1 : Création : penser / fabriquer
samedi 23 mars 2024
INHA, salle Benjamin (2 rue Vivienne, 75002 Paris)
Programme de la journée
9h30 : Accueil du public
10h – 12h : Définir les termes : que serait un cinéma de « la petite économie » ?
Modéré par Emilie Lamoine et Eugénie Zvonkine.
De quoi parle-t-on lorsque nous évoquons le cinéma de la petite économie, en France, aujourd’hui ? Au-delà de notre estimation d’un budget maximum pour un long métrage de fiction établi à 500 000 euros (comprenant les apports en industrie valorisés), nous souhaitons nous questionner sur la possibilité de penser un juste budget par rapport à l’échelle du film, notamment en le différenciant du modèle de production des films mieux financés. Faire un tel cinéma (c’est-à- dire le réaliser et le produire, tant ces deux gestes sont ici liés) implique-t-il nécessairement une volonté, quel que soit le moment où le choix est opéré, de faire du cinéma autrement ?
Avec Joël Augros, professeur à l’Université Paris 3, Gaëlle Jones, productrice (Perspective Films), Laure Vermeersch, cinéaste membre de l’ACID.
12h – 13h30 : Pause déjeuner
13h30 – 15h30 : Ce qui s’invente dans la contrainte.
Modéré par Emilie Lamoine et Ariane Papillon.
Si la question de savoir à quoi faut-il (ou ne faut-il pas) renoncer peut se poser pour les cinéastes de « la petite économie », elle pourrait s’entendre non pas comme privation mais dépouillement, selon le terme du cinéaste Tariq Teguia (« Je crois qu’il faut beaucoup se dépouiller en cours de route pour faire les films qu’on veut faire et non pas ceux des autres. C’est une affaire de choix et de renoncements », énonce-t-il) permettant de faire des choix, de se défaire de certains codes, d’adopter des partis- pris radicaux, de faire avec – le réel, le déjà filmé, les moyens du bord –, de prendre un risque. Il s’agira également de s’intéresser à la dimension matérielle de la fabrication de films à petit budget ainsi qu’à ses temporalités : du geste rapide fait dans l’urgence, au temps long permettant de faire mûrir et évoluer un projet, et réinvestir le désir qui l’a fait naître.
Avec Robert Bonamy, maître de conférences HDR à l’Université de Poitiers, Natacha Samuel et Florent Klockenbring, réalisateur·rices de Peter Pan (2023), Alexandra Pianelli, réalisatrice du documentaire Le Kiosque (2020).
16h – 18h : Faire communauté.
Modéré par Mariya Nikiforova et Paula Rodríguez Polanco.
Quelles possibilités s’ouvrent quand on met en commun des espaces de travail, des ressources et des connaissances techniques, afin de créer des réseaux d’entraide pour la fabrication de films ? Comment la création cinématographique peut-elle se trouver enrichie à travers des liens affectifs au sein d’une communauté collaborative ? Pour répondre à ces questions, nous nous pencherons sur le fonctionnement de collectifs de cinéastes réuni·es autour des outils cinématographiques (argentiques et numériques) et de la transmission des savoirs, avant d’aborder la question de la finalisation de films dans une économie alternative.
Avec Marie Losier, artiste et cinéaste, Noah Teichner, chercheur et cinéaste membre de l’association L’Abominable/Navire Argo (Épinay- sur-Seine), ainsi qu’un·e représentant·e de l’espace associatif Polygone Étoilé (Marseille).
Instituto Cervantès Bordeaux et MSHB (Campus Bordeaux Montaigne)
Après une première journée à l’INHA à Paris dédiée à la création et à la production du cinéma des économies alternatives (appelé, selon le contexte, cinéma indépendant, autonome, guérilla, films pauvres, sauvages ou de contrebande), les deux journées s’intéressent aux différentes manières de montrer ce type de cinéma. Car une fois que les films ont été réalisés et produits, quels espaces existent pour les faire parvenir jusqu’au public, et avec quelles stratégies spécifiques à leurs économies ? Nous accueillerons des personnes issues des institutions, des programmateur·ices de festivals, des vendeur·euses, des distributeur·ices, des représentant·es de plateformes pour parler de la façon dont ils et elles parviennent à faire exister ce type de cinéma.
9h30-9h45 / Introduction
Avec Eugénie Zvonkine (ESTCA, Paris 8), Marguerite Vappereau (Artes, Bordeaux Montaigne), Natacha Seweryn (ESTCA Paris 8, FIFIB)
Cécile Sorin (ESTCA, Paris 8) : « L’expérience française du film guérilla »
Dans le cadre de la sortie du numéro thématique de la revue Théorème consacré au film guérilla, nous reviendrons sur les caractéristiques de cette forme d’autoproduction, ses enjeux esthétiques, politiques, organisationnels. Plutôt que d’en dresser un bilan, nous essayerons en voir en quoi ces expériences collectives demeurent encore aujourd’hui force de propositions.
À travers leurs choix de programmation, les festivals participent à la création symbolique de la “valeur” d’un film. Au sein de ces espaces de diffusion, le cinéma des économies alternatives y occupe une place prépondérante. Le terme « film de festival » a d’ailleurs parfois été utilisé pour définir ce type de film qui ne serait montré que dans ces événements ponctuels et spécifiques. Comment le travail de programmation accompagne-t-il réellement ce genre de films aux économies alternatives ? Quelle place représente-t-il dans l’ensemble d’une programmation ? Et quelles sont les contraintes financières de ces festivals qui souhaitent défendre ce type de films ?
Intervenants : Antoine Thirion (Programmateur Cinéma du Réel), Pauline Ginot (Déléguée Générale de l’ACID), Diego Governatori (Co-président de l’ACID)
Modération : Natacha Seweryn (ESTCA, FIFIB)
14h-16h15 / L’accompagnement institutionnel à la diffusion
La politique culturelle française soutient une création cinématographique fragile, jeune et expérimentale grâce à des organismes tel que le GREC (Groupe de Recherches et d’Essais Cinématographiques) qui accompagne des films de leur création à leur diffusion depuis la fin des années soixante, ou le réseau des Agences régionales et pour la Nouvelle Aquitaine, ALCA (Agence du livre, du cinéma et de l’audiovisuel), depuis les années deux mille. Une rencontre entre deux représentantes de ces entités et des cinéastes auteurs-autrices nous permettra d’identifier le rôle de ces institutions dans la diffusion des œuvres soutenues et les problématiques contemporaines que rencontre spécifiquement la diffusion du cinéma des économies alternatives.
Intervenant·es : Anne Luthaud, déléguée générale du GREC, Manon Delauge, Chargée de mission diffusion, ALCA, Théo Laglisse, Virée Séche, film du GREC (sélection FIFIB 2022) et Camille Fleury, A Marée haute, financé par l’ALCA (sélection FIFIB 2024).
Modération : Marguerite Vappereau (ARTES, Bordeaux Montaigne)
16h30-17h30 / Création cinématographique, recherche et université : modèles économiques alternatifs et options de valorisation
Autour du film Des hommes désintéressés de François Robic, réalisé dans le cadre d’une thèse SACRe.
À partir du travail du cinéaste-chercheur François Robic, nous interrogerons la place que prend et pourrait prendre l’Université et la recherche comme espaces de stimulation d’expérimentations cinématographiques et de valorisation des créations de chercheur·euses, enseignant·es ou étudiant·es.
Modération : Ariane Papillon (ESTCA, Paris 8)
Vendredi 11 octobre / Salle Jean Borde, Maison des Sciences de l’homme Bordeaux
Campus Bordeaux Montaigne
Avec la distributrice Zahra Benasri, fondatrice de la société Hors du Bocal, nous interrogerons les stratégies, les possibilités et la nécessité de promouvoir et faire circuler des films autoproduits ou d’économies réduites, réalisés par des cinéastes autodidactes et/ou issus de minorités ou de milieux sociaux pour qui l’accès à l’industrie du cinéma, à ses réseaux et ses financements est entravé. Comment faire une place à ces voix, ces talents et ces histoires par le biais de la distribution ? Quels modèles économiques peuvent s’articuler à cet engagement ?
Modération : Ariane Papillon (ESTCA, Paris 8)
Le distributeur, chaînon essentiel entre le producteur et les salles de cinéma, est l’un des métiers les moins mis en avant et les moins connus du monde du cinéma. Chargés de convaincre les exploitants de programmer un film et d’en assurer la promotion, à quels problématiques sont-ils confrontés quand il s’agit de défendre des films produits autrement, alors que le nombre d’œuvres explose et que ces activités subissent le plus frontalement la pression économique ? Sur quels réseaux peuvent-ils s’appuyer ? Quels argumentaires avancent-ils ?
Intervenant·es : Thomas Ordonneau (Shellac) ; Coline Crance Philouze (UFO) ; Cédric Walter (The Dark)
Modération : Ysé Sorel (ESTCA, Paris 8) et Natacha Seweryn (ESTCA, Paris 8 et FIFIB)
Le programme de recherche « Le cinéma de petite économie » (ESTCA-ARTES) a trouvé un écho dans les travaux de jeunes chercheur·euses, tant au sein du Master Ingénieurie de projets culturels et interculturels (IPCI), qu’au niveau du doctorat. Les étudiant·es proposeront des études de cas à partir de leurs travaux.
Pierre Leroy (Master IPCI, Bordeaux Montaigne) : « Étude de cas : Production et diffusion de La Sorcière et le martien (2022) de Thomas Bardinet »
Charlotte Payen Ibañez (Master IPCI, Bordeaux Montaigne) : « Les enjeux de la médiation en salle pour la diffusion du cinéma de petite économie en milieu rural »
Emma Duquet (doctorante Plurielles, Bordeaux Montaigne, ESTCA, Paris 8) : « La forme du journal filmé dans les coopératives de cinéma »
Modération : Marguerite Vappereau (ARTES, Bordeaux Montaigne)
Les plateformes numériques ont permis d’élargir le spectre de diffusion des films en général, quitte à concurrencer les lieux traditionnels et en premier lieu la salle de cinéma, dont sont exclus un grand nombre de films. Comment les plateformes sont-elles devenues des endroits privilégiés pour donner à voir des films autrement difficilement accessibles, et notamment ceux réalisés en dehors des circuits classiques ? En réunissant trois modèles différents dans ce domaine, nous reviendrons sur leurs choix éditoriaux, leurs missions et leurs difficultés, ainsi que leurs modes de fonctionnement.